La Grande-Bretagne
a connu une histoire mouvementée : de nombreuses vagues de peuplement ont
successivement abordé ses rivages, et lutté pour la suprématie sur l’ensemble
du territoire. C’est l’influence romaine qui s’est avérée la plus durable
pendant le haut Moyen-Age. Une influence qui marquera profondément la légende
arthurienne.
La Grande-Bretagne
a été envahie par les Romains en 50 avant JC environ. Cependant, même à
l’époque où la partie sud de l’île fait partie officiellement de l’Empire
romain, les tribus Pictes et les Scots, dans toute la région que l’on appelle
maintenant l’Ecosse, restent insoumis et multiplient les soulèvements parfois
sanglants. Dans l’ensemble, les Romains ne s’aventureront pas tellement au Nord
d’une ligne Tyne-Solway. Et à partir de 410, il semble bien établi que les
Romains ne reviennent plus dans l’île. D’après une certaine tradition
cependant, les dernières années de l’occupation romaine ont vu s’installer aux
frontières du Pays de Galles des légions sarmates.
Ces soldats, superficiellement romanisés, auraient importés en Grande-Bretagne
leur mythologie et leurs héros, ce qui expliquerait de troublantes
ressemblances entre la légende arthurienne et certains récits mythiques du
domaine sarmate. La chute de l’Empire romain est en dernière analyse provoquée
par le mouvement irrésistible des invasions. Cependant, elles ne constituent pas
pour la Grande-Bretagne un phénomène nouveau. En effet, comme le suggèrent les
mythes d’origine de l’Irlande, la race humaine n’est que la cinquième vague de
peuplement à s’établir dans les îles.
D’un point de vue
historique la situation est presque aussi confuse. Il semble bien que les
« Bretons », qui font partie du groupe générique des Celtes, aient en
effet soumis une population originelle proto-celtique, sans parvenir à vaincre
de façon définitive les tribus du Nord de l’île, apparemment d’origine
germanique. Plus au Sud, le pays de Galles, où les Irois (ou Irlandais) ont
très tôt pris pied et se sont fondus aux populations préexistantes, sera l’un
des centres de la résistance bretonne à l’avance saxonne et, par la suite, à la
conquête normande.
Qui pouvait
bien être Arthur ?
Il est indubitable
que les Bretons et les Romains conservent le souvenir de l’épopée de Maxime, l’usurpateur,
qui, à la tête d’une armée, franchit la Manche et marcha contre Rome, se fit
proclamer empereur en 383 avant de mourir peu après. Cette figure historique ne
tarde pas à prendre dans l’imaginaire breton des dimensions mythiques. Maxime,
cependant, n’est pas le seul Breton à franchir la mer pour aller guerroyer en
Gaule. Ainsi, un certain Rigothamus, chef de guerre plus que roi, aurait-il
trouvé la mort sur le continent au cours du IVème siècle après avoir remporté plusieurs victoires :
l’expédition d’Arthur en Gaule s’en inspirerait. Même sans tenir compte d’une présence
romaine persistant sans doute bien au-delà de
410, on peut admettre que les Bretons se sont efforcés de lutter contre
les envahisseurs pictes, scots, et surtout saxons. Cependant la structure
socio-politique du pays ne paraît guère avoir été favorable à l’émergence d’un
chef suprême. Les tribus bretonnes, en effet, semblent avoir été divisées en
une multitude de petits royaumes. Néanmoins les textes font état, à propos
d’une période d’une vingtaine d’années à la fin du Vème siècle, d’une pose dans
l’avance saxonne et d’une série de victoires remportées par les Bretons, sous
la direction d’un général exceptionnel : il s’agirait bien sûr d’Arthur.
La
création d’une légende
Pour asseoir son
pouvoir et faire pièce à sa rivale, la famille capétienne qui se présente comme
descendant de Charlemagne, la dynastie angevine des Plantagenêt va créer
pratiquement de toutes pièces la légende du bon roi Arthur et de sa Table
Ronde. Telle est l’origine très pragmatique d’une saga qui va ensuite se
développer dans des directions inattendues. De plus, c’est à Geoffrey de
Monmouth, évêque de Saint-Asaph, petite ville de la Galle du Nord, que revient
également l’honneur d’avoir lancé la vogue de la légende arthurienne.
En 1066, l’armée
de Guillaume le Conquérant traverse la mer et aborde à Hastings : une fois
de plus, la Grande Bretagne change de maître et connaît les aléas d’une
invasion. Les Normands de Guillaume sont les descendants de ces « hommes
du Nord » que l’on appelle les Vikings. Les relations entre Normands et
Saxons ne seront évidemment pas excellentes. Les droits des Angevins, Geoffroy
Plantagenêt et plus tard son fils Henry II, ne sont pas très solides :
habilement, Geoffroy va chercher des appuis dans l’histoire du pays sur lequel
il prétend régner. S’il est impossible de déguiser le fait que les Normands
sont des nouveaux venus en Grande-Bretagne, il peut être avantageux de doter
les premiers habitants du pays – les Bretons – d’une légitimité, c’est à dire
d’une origine prestigieuse qui rattache la Grande-Bretagne, au continent. Et au
XIIème siècle, la seule origine possible est une origine romaine ou grecque,
capable d’établir une filiation entre les héros de l’antiquité et les princes
chrétiens qui ont « civilisé » la Bretagne.
Henry II
Plantagenêt devient roi d’Angleterre en 1153. Il est alors confronté à un
double problème : d’une part, il est en rivalité avec le roi de France,
d’autre part, à l’intérieur de son royaume, il a besoin de l’appui des Bretons
contre les Saxons qui acceptent mal, même après 90 ans, la domination normande.
Il va alors pratiquer, à l’intérieur du pays, la politique du « diviser
pour régner », loin de chercher à unir les différentes populations.
D’ailleurs les Bretons ne s’empresseront pas de se rallier à la bannière
Plantagenêt. L’une des raisons de cette réserve est que la légende du roi
Arthur, telle qu’elle a été transmise par la tradition, annonce son retour dans
un avenir indéterminé. En effet, disent les conteurs, Arthur n’est pas
mort ; grièvement blessé lors de la bataille de Camlann, il a été emmené
par la fée Morgane en l’île d’Avalon pour soigner ses blessures et il reviendra
prendre la tête de son peuple lorsque celui-ci aura besoin de lui : c’est
l’espoir breton, mentionné souvent avec ironie, mais apparemment suffisamment
répandu dans la population d’origine bretonne pour constituer un obstacle aux
ambitions politiques d’Henry II.
Le propos du
souverain Plantagenêt va donc être double : confisquer à son profit la
légende d’Arthur en se présentant comme son héritier légitime ; mettre une
fois pour toute un terme à l’espoir breton. Pour atteindre ce résultat, Henry
II commandite à des fins de propagande plus que de culture, une « mise en roman » de l’Historia
Regum Brittaniae à un clerc anglo-normand de sa cour, nommé Wace.